Les Solèls de Trovic
Une odyssée cousue main
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Les Solèls de Trovic

Le cheval de Troie (1967)

PAR Francine Auger Rey THÈME Analyse TAGS Exposition | oeuvre | photos
Le cheval de troie (310 x 248 cm) au Colysée de Lambersart 2022
Le cheval de troie (310 x 248 cm) au Colysée de Lambersart 2022

Le thème

C'est le seul sujet mythologique que Jacques traitera de toute sa vie.
On se souvient de l'histoire légendaire : les faits sont situés 12 siècles avant notre ère. les Grecs vont utiliser la ruse pour venir à bout de la résistance de la ville de Troie dont ils font le siège depuis 10 ans . Ils construisent un cheval dans lequel ils vont se cacher et qu'ils vont placer sur le rivage méditerrannéen en vue des murailles de Troie. Ce cheval est si extraordinaire que les troyens pensent que ce sont les dieux qui le leur envoient. Ils vont donc le tirer en utilisant les roues dont il est doté,  pour le faire entrer dans l'enceinte de la ville jusque là imprenable. Le Cheval est à l'intérieur des remparts, les portes de la ville sont refermées. C'est alors que les grecs sortent de leur cachette.

Le traitement du thème par l'artiste

C'est le moment qu'a choisi d'illustrer Jacques Trovic. Les soldats grecs sont sortis du ventre du cheval et Jacques les représente en pleine action. 9 personnages s'agitent, celui du premier plan à gauche est représenté plus grand que celui qui court au fond à gauche. Une convention de perspective est figurée que l'on va retrouver dans la disposition des bâtiments et temples.
La tapisserie comporte une scène centrale comme dans la majorité des oeuvres de Jacques Trovic. Le cheval s'impose par sa beauté, sa magnifiscence, sa surprenante couleur dominante : le rose et l'harmonie des couleurs des étoffes qui passent du rose saumon au bordeaux en passant par les blancs, beiges et violets. La crinière ou le caparaçon sont dans une étoffe de laine prune entièrement ornée. Jacques Trovic n'utilise pas la feutrine que l'on trouve pourtant déjà dans « La Scène espagnole » son oeuvre inaugurale de 1964. L'ajout des paillettes qui étincellent transfigure l'animal et lui donne une dimension fantastique.

Interprétation du thème

Ce cheval a une dimension mythologique mais aussi quelque chose qui le rapproche des chevaux de bois de l'enfance. C'est ce croisement qui fait de l'art de Jacques Trovic un art unique où, ce qui relie l'enfance et la mythologie retrouve son évidente parenté. Par ce qu'il est, Jacques Trovic retrouve ce pont magnifique que fait toute Culture. Dans l'histoire ou la légende de la Grèce antique, ce merveilleux cheval par sa bizarrerie et son caractère unique, va changer le cours de l'Histoire. Ainsi Jacques Trovic, entré incidemment sur la scène de l'histoire de l'art, va-t-il y conquérir, comme ce cheval dans la Troie réputée imprenable, une place indiscutable dans un monde qui n'était pas fait pour lui. Il en sortira vainqueur lui aussi. Ce « Cheval  de Troie » est un autoportrait métaphorique. Et quel autoportrait !! Le jeune homme de 19 ans qui compose et signe cette oeuvre était sûr de lui. Avait-il inconsciemment dit quelque chose de lui à travers ce cheval ? Il caracole dans son habit de lumière, au su et au vu de tous, sans gêne et déjà au dessus de la mêlée. Ainsi ira Jacques Trovic.

La Technique de l'artiste tapissier

Revenons à l'oeuvre entière. On y observe une première particularité : cette scène centrale très trovicienne, est surmontée d'un haut relief qui montre la tête de trois guerriers en plein combat. L'échelle de ces personnages est beaucoup plus grande que celle des hoplites en action de la scène centrale. Cette partie semble être une pièce rapportée.
Deuxième particularité, élément unique dans l'oeuvre de Jacques Trovic, tous les morceaux de tissus qui, découpés, vont constituer le tableau en patchwork sont coupés et cousus sans qu'un ourlet ne les protège de l'éffilochage. Leur section est à vif. Si dans les toutes premières oeuvres on retrouve cette manière de faire, par la suite Jacques Trovic ourlera les petits morceaux de tissus avant de les coudre sur la toile de jute, pour les rendre moins fragiles.

De plus les morceaux ne jointent pas et laissent apparaître la toile de jute qui est le fond universel sur lequel Jacques place et coud dans chaque oeuvre les éléments de sa composition. Dans toutes ses autres tapisseries, la toile de jute n'apparaît jamais entre les pièces assemblées au contraire de ce que l'on voit dans ce « fronton » ou haut relief: cela crée une « décoration » particulière et très subtile : un cerne gracieux pourrait-on dire. Au pied de chaque patte du cheval on a la même technique qui, là, sert à figurer les roues du cheval.

Le cheval de Troie - détail
« Le cheval de Troie », détail

Une oeuvre remisée pendant 47 ans

Tous ces éléments me laissent penser que cette oeuvre qui est l'oeuvre de Jacques Trovic, a aussi été faite avec un de ses professeurs ou compagnon dans l'atelier à Saint Amand-Les-Eaux : particularité du sujet, particularité de la technique. Ce qui pourrait expliquer que, ne l'ayant pas considérée comme son oeuvre intégralement, Jacques ne l'a jamais présentée ou montrée et finalement oubliée. Cette hypothèse m'avait été soufflée par S.G. qui rencontra souvent Jacques Trovic et organisa plusieurs événements avec lui. Mais pour y accorder crédit, il fallait voir l'oeuvre de très près, ce que l'on peut faire grâce à cette exposition à Lambersart où nous sommes à hauteur de l'oeuvre et nous pouvons donc l'observer longtemps et finement.
On peut esquisser aussi que cette oeuvre n'a peut-être pas été du goût de sa maman. L'avis de sa mère était très important. Il est arrivé à Jacques Trovic d'offrir une tapisserie parce que, disait-il : « ma mère ne l'aime pas. »

47 ans après sa création l'oeuvre est redécouverte et exposée dans le cadre de « Mons capitale européenne de la culture » en 2015. En janvier 2016, du vivant de Jacques Trovic, le maître priseur Pierre Cornette de Saint Cyr l'a mise en vente sans succès au prix de 70000€. 

[Edit 08/2023] Le commissaire priseur des stars est mort ce Dimanche 20 août dernier. Du vivant de Jacques Trovic, c'est justement sous la houlette de la maison bruxelloise de ce fameux commissaire priseur Pierre Cornette de Saint Cyr qu'à été a mise en vente cette oeuvre magistrale de Jacques Trovic le « Cheval de Troie ». Sur la proposition de l’ASBL Psycart, aujourd’hui disparue, près de 200 oeuvres de 40 artistes étaient mise en vente au profit de la création d’un lieu au service des arts "Outsiders". On peut lire aux détours du catalogue de la vente : "Les oeuvres exposées rendent compte du foisonnement de cet art, que Dubuffet appelait brut et que l’on a tendance à qualifier aujourd’hui d’outsider, qui se décline dans une multitude de techniques et de thèmes (...) On ne manquera pas cet extraordinaire patchwork de 1967 de Jacques Trovic représentant le Cheval de Troie, dont le prix est fixé à 70.000 euros."

En décembre 2019, après le décès de Jacques Trovic survenu le 27 Octobre 2018, l'oeuvre est présentée dans l'exposition réalisée par la Fondation Paul Duhem à l'Hospice Comtesse de Lille. « Le Cheval de Troie » s'y déploiera en magesté, dans toute son élégance. Une sculpture monumentale de Jean Marie Heyligen placé à bon escient, intensifiait l'impression ressentie.

Le cheval de Troie à l'Hospice Comtesse de Lille en décembre 2019 - janvier 2020
« Le cheval de Troie », à l'Hospice Comtesse de Lille en décembre 2019 - janvier 2020

L'état de l'oeuvre, sa conservation

L'oeuvre est très dégradée, usée par le temps. A l'Hospice Comtesse en 2019, en tournant autour de cette tapisserie on pouvait voir qu'elle était devenue très fragile. Aujourd'hui, elle a été protégée par une toile qui la recouvre sur son envers, comme celles que fit poser Charles Schaettel au moment de l'achat d' oeuvres de Jacques Trovic par le musée de Laval en 1979, anticipant sur leur fragillité. Ce sont les Ateliers Bobin à Paris qui ont réalisé gracieusement, à la demande de la Fondation Paul Duhem, cette protection du « Cheval de Troie ».

Mais le problème de la restauration de cette oeuvre reste entier. Peut-on remplacer les étoffes très usées ?

Détails de la tapisserie Le cheval de troie, où l'on voit l'oeuvre dégradée...
Détails de la tapisserie « Le cheval de troie », où l'on voit l'oeuvre dégradée

Jacques Trovic le faisait régulièrement sur certaines oeuvres ou parce qu'un collectionneur lui signalait une détérioration. Pour preuve, si on compare un cliché de la « Scène espagnole » datant de 1998 et un cliché de cette même oeuvre en 2006, le tissu qui sert à figurer le carreau des fenêtres a été remplacé.

La scène espagnole en 1998 et 2006
« La scène espagnole », en 1998 et 2006

Mais là s'ouvre le grand chantier de ce qu'on appelle la restauration des oeuvres d'art. Où de graves questions de technique et d'éthique se posent. Une question à considérer rapidement en ce qui concerne l'oeuvre de Jacques Trovic.

On a pu revoir cette oeuvre au Colysée de Lambersart à l'occasion de l'exposition "Trouble Pictural" proposée par la fondation Paul Duhem de décembre 2021 à avril 2022. 

Crédits photos : Jean-Pierre Kocherhans, FAR, Regis Decottignies

Voir aussi : Reportage (vidéo) sur l'expo au Colysée : le focus sur Jacques Trovic

Article créé le lundi 24 janvier 2022 pour le site des Solèls.

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A propos du film ❝Les Solèls de Trovic❞

Ce documentaire raconte l'histoire d'un homme né en 1948 dans une ville du Nord : Anzin, cité de la fin des mines et de la sidérurgie moribonde.

Dès l'adolescence, sur la table de la cuisine obscure de sa maison de courée, il fait jaillir, malgré ses handicaps et son milieu rude et modeste, une oeuvre lumineuse et colorée.

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