De l’avis de tous ceux qui l’ont connu, Jacques Trovic était une « personnalité attachante ». Cette expression qui peut sembler mièvre face à la stature de cet artiste, doit être prise au pied de la lettre. Qu’est ce qui dans l’homme Trovic provoquait cet attachement?
Tout d’abord quelque chose de son enfance qui l’a prédisposé à une attention très grande à ceux qui l’entouraient, qu’ils soient bienveillants ou hostiles . Son état de sante, compliqué par une épilepsie qui l’a terrassé jusque tard dans l'âge adulte, un milieu très modeste, un père : Henri trovic, homme très rude, qui ont fait de lui un être vulnérable dont la sensibilité, les capacités intuitives se sont développées en lieu et place d’une capacité de mouvements et d’action habituelles chez les enfants. Il fut très vite « à part », atypique, sans doute rudoyé et moqué par les enfants de son âge. La surprotection de la maman, Fernande Adèle, relayée par Josiane, la soeur de 8 ans son ainée, a achevé le retrait de Jacques qui ne put partager les jeux d’enfants. Est ce pour cela que le thème de l’enfance eut tant de présence dans l’oeuvre de Jacques Trovic ?
Alors qu’on lui demandait comment il avait composé sa première tapisserie sur le cirque en 1975, (cf photo de l’oeuvre) Jacques alors âgé de 27 ans ne put répondre que par des larmes. Peut-être n’a-t-il jamais pu aller au cirque, par peur qu’une crise d’ épilepsie puisse advenir. Cependant, à la place de ce qui lui aura manqué dans l’enfance, les activités de couture, de tricot, de broderie, de canevas de la mère et de la soeur n’eurent plus de secret pour lui. Le monde ordinaire, ses joies et ses dangers lui furent soustraits et en retour il fit entrer le monde dans ses tapisseries. Il y mit le chatoiement qui manqua à sa propre vie. Dans un article de la Voix Du Nord de 1982, il est écrit qu’il dit avoir réalisé sa première tapisserie à l’age de 3 ans. N’est ce pas là l’humour feutré, un peu pince sans rire auquel il a donné libre court?... Il n’est plus là pour nous le dire.
Cette vulnérabilité, la justesse de ses intuitions étaient une des raisons qui rendait jacques accessible à chacun. Aucune barrière sociale n’interférait dans sa relation à une autre personne . C’était de manière immédiate et sur l’essentiel que s’établissait la relation. « Ça prenait » tout de suite et l’attachement s’en suivait, qu’il s’agisse de personnalités publiques, d’hommes politiques, d’autres artistes,de conservateurs de musée ou de personnes modestes comme Patrick, autiste sourd et muet, qui tirait pour lui l’aiguillée de laine à l’atelier d’art de la Pommeraie où Jacques acheva son oeuvre et sa vie. Sans le savoir, peut-être ou parce qu’il ne savait pas faire autrement, Jacques était immédiatement en prise avec notre humanité la plus profonde. L’attachement était alors réciproque et ineffaçable.
Autre versant de son atypie, Jacques était hypermnésique. Il se souvenait de tout. Que ce soit la date et le lieu de vente d’une oeuvre même si cela datait de 40 ans, ou que ce soit les dates d’anniversaire, de mariage, de naissance ou de deuil de ceux qu’il cotoyait. Jacques écrivait une lettre, envoyait une carte pour chaque événement et il allait aussi jusqu’à offrir une oeuvre pour l’occasion. Cette attention renforçait les liens et construisait autour de lui un réseau d’amis, de collectionneurs, de proches qui ne fut pas pour rien dans sa survie psychique, économique et artistique.
Jacques Trovic ne s’est jamais départi d’une part d’enfance qui parfois surgissait sans crier gare. Son ami le plus proche, Mokhtar, observa souvent cette donnée de la vie de Jacques. Il me conta qu’un jour, un tout petit enfant poussa par jeu Jacques. Curieusement Jacques en resta meurtri et inconsolé. C’était comme si ce petit enfant, poussait non pas l’adulte Jacques Trovic, mais Jacques Trovic l’enfant, faisant ainsi ressurgir ce qu’il avait vécu dans ses jeunes années.
Pour compléter ce tableau de l’Homme Trovic, il faut parler du Prince Trovic. Jacques recevait à grand frais les personnes qui s’interessaient à son oeuvre, qui se déplaçaient pour le rencontrer. Il se considérait « ambassadeur » de sa région, de son pays et offrait ce qui en faisait la saveur et la valeur. Invitations à manger les spécialités locales cuisinées par sa soeur, cadeaux des bourriches pleines des saveurs spécifiques de sa région, choix de bières locales, était la manière que Jacques avait d’honorer ses hôtes . Et cela raccordait avec l’extraordinaire plaisir de manger de Jacques qui fit des tapisseries comme l’« Hommage à la Savoie » où il se fit un devoir et une joie de broder le nom de toutes les spécialités culinaires de cette région. On peut en dire autant du « Couple Bigoudin » et de tant d’autres oeuvres. Dans « La Table Garnie » conservée au musée d’Art Brut de Lausanne, la table acquiert le statut d’autel dressé au dieu Gourmandise. A son amie Cécile il avoua que si ça vie relevait d’un péché capital ce serait sans nul doute la gourmandise...
Enfin, quand l’homme Trovic se trouvait être déçu par un ami à qui il faisait confiance, que ce soit à tort ou à raison, il s’en détournait définitivement. Il pouvait tout accepter, tout comprendre sauf l’amitié flouée. Ainsi, l’homme Trovic, très accessible, affectueux, généreux n’en était pas moins une personnalité complexe qui s’était défini dans l’existence par cette oeuvre à accomplir envers et contre tout.
Pour toutes ces raisons, Jacques Trovic était vraiment une personnalité attachante.
Article créé le jeudi 02 septembre 2021 pour le site des Solèls.
Vers le haut